La Convention citoyenne pour le climat a suscité autant d’enthousiasme que d’effets déceptifs. Cependant, elle a clairement marqué un tournant dans la pratique de la participation citoyenne en révélant l’intérêt des processus délibératifs à partir de mini publics(1).
Issue d’une crise sociale profonde, elle est apparue comme un dispositif inédit - nombre de participants, type de commanditaire et produit de sortie annoncé, intensité médiatique - et a permis de renouveler les formes de participation du public, en mettant au cœur du débat public français, la question de l’implication directe des citoyens dans la définition de l’action publique, à l’échelle législative et réglementaire.
Depuis, et malgré les critiques formulées non pas à l’égard du dispositif et de ses résultats mais plutôt de la réponse à ces derniers, des démarches de délibération ont été mises en œuvre un peu partout sur le territoire avec une ampleur inédite : conventions citoyennes au niveau territorial, assemblées citoyennes, jurys citoyens, comités citoyens, … Toutes, sur le même principe d’un panel de participants tirés au sort, sont destinées à produire un rapport en réponse à une question donnée, reprenant ainsi les canons des conférences citoyennes, elles-mêmes issues de l’expérience des conférences de consensus.
Dans la théorie de l’agir communicationnel développée par Habermas qui s’est concrétisée dès les années 1980 dans des sondages délibératifs ou des conférences de consensus, la délibération renvoie à une méthode de dialogue où des participants constituant un panel illustrant la diversité de la population (le « mini public »), débattent à partir d’une information commune, réfléchissent ensemble et s’influencent mutuellement pour formuler des avis collectifs éclairés. Ces avis peuvent aboutir à un consensus et/ou clarifier des dissensus.
Ces processus délibératifs sont venus enrichir des méthodes plus classiques de concertation. Les processus ouverts de participation sont des démarches de concertation qui cherchent à réunir un grand nombre de personnes volontaires qui se mobilisent en fonction de leurs intérêts propres pour débattre d’un sujet, dans un cadre moins contraignant (les « maxi-publics »). Néanmoins, force est de constater que le nombre de personnes qui participent à ces dispositifs est souvent moins nombreux qu’espéré.
Toutefois, le recours de plus en plus fréquent aux démarches délibératives de mini public mérite d’être questionné. Ce foisonnement représente un réel enrichissement des méthodes de dialogue public mais questionne les pratiques habituelles. Alors que des dispositifs d’envergure s’apprêtent à être lancés à l’échelle nationale, comment renforcer encore leur pertinence et robustesse ?
Depuis sa création en 2004, Res publica contribue à démultiplier la pratique de la démocratie au quotidien. Nous mettons en place une ingénierie qui vise à rendre les débats utiles et efficaces en garantissant une mise en débat des sujets (souvent complexes) claire et facile à comprendre, en déployant des modalités d’animation variées (incluant autant que possible la délibération) et en assurant l’accès aux débats au plus grand nombre : déploiement d’outils de communication et de mobilisation, utilisation de notre plateforme participative Jenparle, accueil d’un grand nombre de participants, sans systèmes d’inscriptions obligatoires ou de jauges maximales…
Nous sommes pour autant conscients que les démarches de concertation ouvertes et à très large audience présentent des limites, parmi lesquelles principalement :
Les démarches délibératives sont proposées pour éviter ces écueils. En animant le dialogue de panels constitués de personnes tirées au sort, elles garantissent la participation de publics d’horizons divers, habituellement peu représentés dans les dispositifs de concertation classiques. Elles favorisent ainsi la prise en compte de l'intérêt collectif. Les temps de formation/information approfondie renforcent la compréhension des sujets et de leurs enjeux et, avec des temps de dialogue assez longs (souvent 4 à 5 fois plus importants que dans les processus ouverts), facilitent la production d'avis éclairés.
La démarche délibérative de mini-publics est-elle toutefois suffisante ? Sa mise en œuvre pose d’autres questions. Quelle est la légitimité des participants tirés au sort à côté de groupes constitués qui s’intéressent au même sujet, comme les associations ? Comment s’assurer que toutes les voix seront prises en compte et non noyées dans un consensus mou ? De quelle manière peut-on garantir la qualité et la neutralité de l’information délivrée aux participants ? Au-delà du portage politique, quelle garantie ont les participants que leurs travaux seront suivis d’effets ou, à tout le moins, qu’une reddition des comptes permettra de s’assurer de la prise au sérieux du dispositif par son commanditaire ?
Nous sommes convaincus que les processus ouverts de participation et les dispositifs délibératifs ne doivent pas s’opposer, mais peuvent au contraire s’enrichir mutuellement à travers des dispositifs hybrides.
L’hybridation consiste à combiner les approches délibératives et ouvertes dans un même dispositif de dialogue afin de dépasser les limites inhérentes à chaque approche et d’améliorer in fine le produit de sortie de la démarche et son impact.
Cette combinaison du délibératif et du participatif peut prendre des formes multiples. En fonction des dispositifs, l’hybridation peut ainsi varier en termes de temporalité, de sujets, d'objectifs, de méthode de recrutement des participants ou encore de gouvernance.
En croisant notre expérience avec l’analyse proposée par la CNDP dans sa note sur les assemblées citoyennes et les articulations possibles entre mini public (pensé comme du délibératif) et maxi public (pensé comme du participatif ouvert), nous pouvons distinguer trois grands types d'hybridation :
Les formes ainsi que les objectifs de l’hybridation sont donc susceptibles de varier assez largement d’un dispositif à l’autre. Est-ce que cela fonctionne ? En quoi la combinaison des dispositifs ouverts participatif et délibératif permet-elle de dépasser les limites respectives de ces derniers ?
Un exemple récent de dialogue conduit par Res publica montre l’intérêt de l’hybridation. Avec le projet d’agriparc à Montpellier, la collectivité a organisé une démarche de concertation préalable volontaire, au stade du dialogue compétitif, à l’heure où les options sont encore ouvertes.
Dans la mesure où les enjeux du parc dépassent ses franges urbaines directes, la finalité était de concevoir un dispositif participatif élargissant le débat au-delà des seuls enjeux de riveraineté en s’adressant à l’ensemble des habitants de la métropole. La démarche a articulé une phase de participation élargie au stade du diagnostic et une deuxième phase délibérative. Ouverte au grand public, la première étape a consisté en l’organisation d’une journée d’ateliers et de balades sur site, complétée par un recueil en ligne des contributions citoyennes. Avec quelque 300 contributions, cette phase de concertation a permis la réalisation d’un diagnostic partagé des ambitions souhaitées et des attentes pour le futur agriparc.
Un groupe de 32 citoyens métropolitains tirés au sort parmi les volontaires a ensuite été chargé d’affiner ce diagnostic. Après des compléments d’information apportés par des formateurs et un travail avec des représentants d’associations locales et des instances de quartier, le panel a été invité à formuler l’ambition souhaitée pour l’agriparc et délibérer sur des orientations et propositions collectives. Les débats étaient vifs, les sujets de dissensus nombreux, traduisant des visions divergentes à propos du rapport à la nature et à ses usages. Cependant, la démarche délibérative a permis d’éviter les postures d’opposition stériles et d’aboutir à une vision commune ; c’est là son grand intérêt.
Dans cet exemple, l’hybridation a apporté quatre bénéfices :
L’hybridation des processus participatifs ouverts et délibératifs permet à la fois de multiplier et diversifier les publics mais aussi d’articuler leurs contributions dans un dialogue approfondi, pour produire in fine un avis éclairé et étayé, constitué de jugements collectifs et non d’une succession d’opinions. Elle donne aussi plus de portée aux propositions auprès des décideurs politiques du fait qu’elle apporte plus de visibilité à l’avis citoyen.
Sa réussite tient à plusieurs facteurs : la qualité du cadrage préalable des objectifs et des thématiques abordées, l’intensité et la cohérence de l’articulation entre les temps de participation ouverte et les dispositifs délibératifs, la pertinence du dispositif global de concertation, la mise en place d’une gouvernance élargie, etc.
Les dispositifs hybrides apportent des moyens complémentaires au service de la démocratie participative. Cependant, ils atteignent un niveau de sophistication qui nécessite de former les commanditaires qui sont très attirés par ces processus délibératifs mais encore novices dans la pratique de la participation citoyenne sous cette forme. Le professionnalisme est un gage de réussite qui permettra de mettre en œuvre des dispositifs performants et reconnus comme tels par l’ensemble des parties prenantes. C’est ce que l’on constate déjà dans les quelques exemples cités ici.
(1) De nombreuses expériences de mini publics, nettement moins médiatisées, avaient été expérimentées depuis le début des années 2000.